KOSOVKA

sur le front d’Orient

Après une minute de faction silencieuse, le vieux briscard, fidèle Croix de Feu, sort une fiole de šljivovica et me présente, nouvelle recrue, de la classe de la relève française. La vieille femme de Saint-Sauveur avait tort, les hommes ne sont pas toujours ingrats et ceux qui dédaignent le passé ne sont peut-être simplement pas des hommes. Les adieux sont brefs. Une poignée de mains, un regard, une intensité.

sur les mœurs à la campagne serbe

Au Kosovo, ce voisinage se mêlait à la confrontation séculaire avec des familles musulmanes. Cette influence, jamais reconnue ou admise, se faisait même parfois mimétisme car lorsque les hommes de la terre se disputent l’éducation des filles au nom de la Chrétienté ou de l’Islam, l’administration même communiste n’y peut rien changer.

sur le temps qui passe

La vie procure bien des raisons d’oublier. Je n’en retiens pourtant aucune. Ceux qui ont vécu ces mêmes moments secondaires à l’écart du temps essentiel qui passe, mesurent ma honte d’évoquer cette parenthèse de seize années, d’avouer cette amnésie qui ne prendra fin qu’en mars 99 au bruit des bombardements.

sur le temps qui demeure

A chaque reposoir, le père Dimitrije sacrifie au même rite. Tout d’abord, il troque sa somptueuse couronne dorée contre une humble šajkača. Le bonnet est simple par son aspect mais revêt la fourrure de gloire d’avoir appartenu à Vladimir Šipčić. L’homme aux abois le lui avait donné tandis que le prêtre lui apportait la sainte communion en rompant l’encerclement des brigades internationales.

sur la race

Branlebas de combat ! A peine le nez dehors, des dizaines puis des centaines de Tatjana rient, chantent le jour nouveau, respirent l’aube altière et osent exposer leur race. La belle apparence du peuple Serbe provient d’une essence profonde que ne peuvent partager les nomades. Depuis 1389, ce peuple est de la terre gorgée de sang du Kosovo que les sceptiques, qui ont la prétention du jugement éclairé, déclarent stupide ou superstitieux.

sur un certain 28 juin 1989

Alors, d’un geste sublime, les Louves tournent le dos aux tribunes officielles, aux importants encartés, conscientes d’incarner une Serbie que ces autorités ne méritent pas. Pour elles-mêmes, elles déclament des poèmes de Stanković, invitent Lamartine à trinquer avec Karadić et Avril avec Dučić. Puis, laissant là la rose fanée, une clope au bec, une bouteille à portée de main, Tatjana et ses Louves chantent à tue-tête, provocantes et superbes. Bébert ne comprend pas tout mais succombe au charme et s’époumone. Demain, il témoignera.

sur un monde qui meurt

Yalta n’est plus mais c’est Roosevelt qui rafle la mise. A la grande braderie des âmes et des armes, Rome et Byzance lui ont déjà prêté allégeance.Comme partout ailleurs, la guerre dans les Balkans n’est ni vraiment juste, ni totalement vaine. Elle permet de vivre en hommes. De mourir en hommes aussi.

sur les combats perdus

De ces défaites, vient l’humanité de ceux qui souffrent dans la chair ou dans l’âme. Victorieux, les hommes paradent et attendent plus d’honneurs. Défaits, ils se souviennent des camarades laissés au bord de la piste. Parfois même, ils les envient.

sur le nouveau monde

Il est temps de lancer la contre-attaque des démocraties ! L’Europe avait ses affaires juives, elle les a serbes. Le Kosovo n’est qu’un contrat. Un contrat sur sa tête et l’entourloupe infâme, combinaison impudique de nations sans vergogne, se déroule sans accroc.

A Rambouillet, on discute, on négocie, on frappe du poing sur la table. Des preuves ? Des Katyn ? Pas de problème et un Račak de Washington ou de Bruxelles plus loin, on frappe aérienne.

sur les frappes d’Occident

Cette nuit-là, Milica Rakić de Batajnica, petite fillette de trois ans est un dommage collatéral ! Un petit corps mutilé, assassiné, broyé. Milica n’était pas révolutionnaire, pas fière, pas même insolente. Une simple petite fille qui jouait et découvrait la vie au travers de l’amour de ses parents. Je pense à elle et serre les poings. Je pense à Zarco et à Dušica qui ne veulent pas lui survivre. Je pense au petit Aleksa qui ne jouera plus jamais parce qu’il dormait et croit ne pas avoir su protégé sa petite sœur.

sur un nouvel exode

L’adjudant Jacques Padreau est fou de rage, il se souvient de ces mêmes scènes vécues à Ilidza et à Dobrinja de Sarajevo ; il se rappelle ces mêmes familles jetées sur les routes pour satisfaire la nouvelle administration. Encore une ligne imaginaire de stupeur et d’effroi. Sur les ponts, des Bosniaques leur jetaient des pierres, aux bords des routes, ils leur crachaient dessus en toute impunité. Les ordres étaient déjà de sécuriser le départ des Serbes… sans intervenir ! Il reconnait ce sourire et ne supporte plus cette mission de police politique.

sur l’enfance

Ce jour-là, Slavko, l’apprenti artilleur est porté en triomphe. Autant dire tout de suite que la place est prisée, le rôle jalousé car, sitôt l’exploit renouvelé, l’Armée victorieuse défile devant quelques Grognasses joyeuses et satisfaites. Jeunes femelles de la tribu des Grognards, elles reçoivent alors l’hommage des combattants pouilleux et écoutent la sempiternelle sentence du nouveau Pobednik :

- Pardon, je ne l’ai pas fait exprès ! Je ne savais pas qu’il était invisible…Affiche à l’appui, la formule a déjà fait le tour du monde. Les rires enfantins ne troublent pas la cadette des Grenadières qui s’aventure au sein de la troupe en liesse et donne un tendre baiser au nouvel héros.

sur le sacrifice

Tatjana ne s’était pas sacrifiée pour un Dieu, une terre ou une race, elle avait été assassinée pour les taire.

sur la confession

L’écho des événements meurtriers m’apportait l’occasion de passer enfin ce coup de fil, de surmonter mes doutes, ces mêmes obstacles qui me font changer de route à la porte du confessionnal, espérant l’absolution comme le baiser de Tatjana mais ne pouvant me résoudre à m’agenouiller comme à décrocher ce putain de combiné…

sur l’œcuménisme

J’étais catholique, me voilà chrétien. Ceux qui pensent à une évidence dogmatique ne perçoivent pas le pas franchi, capable de renvoyer dos à dos Moyenmoutier et Cérulaire. Charlemagne lui-même n’y pouvait plus rien. N’avait-il pas chanté autour de nous la haine, autour de nous les dogmes que l’on abat… ? Alors, en Corps franc au trait d’union, je m’attachais à la Sainte Trinité pour toujours sans me demander si la place de l’Un était préférable à celle de l’Autre ou si la poule procédait de l’œuf !

sur l’Occupation

Petite, Tatjana avait l’habitude de lui chanter la Strasbourgeoise, qu’elle tenait de sa grand-mère. Cette complainte évoquait l’occupation allemande de l’Alsace et se terminait par vous avez pu germaniser la plaine mais mon p’tit cœur, vous ne l’aurez jamais,… il restera français. Oui, ils pourront šiptariser le Kosovo, son petit cœur restera serbe. Et son âme. Alors, de bureaux de la Minuk en camps de la KFor, Vanja se fait femme de ménage chez l’un, secrétaire chez l’autre, jusqu’à être retenue comme interprète au sein de la mission Eulex. Infamie doublée de forfaiture.

sur le Remplacement

Au loin, Adem Jashari se voulait le gauleiter influent d’une terre albanaise élargie, il est l’épouvantail pouilleux d’un bitume colonisé, il se voulait l’icône du Grand Remplacement, il a viré second couteau de l’OTAN. Aux affaires, ses colistiers mesurent toute l’ironie de cette histoire qui les a faits maîtres et jouisseurs des domaines de leur accueil.